Circuits de commercialisation de l’or au Burkina Faso
En quelques années le Burkina Faso s’est hissé au 5ème rang des pays africains producteurs d’or, derrière le Ghana, l’Afrique du Sud, le Soudan du Nord et le Mali.
Le pays compte à ce jour 17 mines industrielles en exploitation.
A côté des mines industrielles, on dénombre plus de 200 unités d’exploitation artisanal d’or officiellement agréées et une pléthore de sites d’orpaillages clandestins dont le nombre oscille entre 700 et 1000.
Malgré la crise sécuritaire et la pandémie du covid-19, le Burkina Faso a produit 60 tonnes d'or en 2020 soit un taux de croissance de 20%, pour 2 000 milliards de F.CFA de recettes d'exportation.
Une enquête conduite par l’Institut National de la Statistique et de la Démographie (INSD), a estimé à 9,5 tonnes la quantité d’or issue de l’exploitation artisanale et semi-mécanisée en 2017. On dénombre un nombre d'orpailleurs compris entre 1,5 et 2 millions.
La commercialisation de l’or issu de l’exploitation artisanale et semi-mécanisée représente un important marché dont le chiffre d’affaires a atteint 232,2 milliards de F.CFA en 2016 selon l’Agence Nationale d’Encadrement des Exploitations Minières Artisanales et Semi-mécanisée (ANEEMAS).
Le commerce de l’or issu de l’exploitation artisanale et semi-mécanisée s’opère à travers deux circuits distincts : Il s’agit du circuit commercial formel et du circuit informel.
Le circuit formel du commerce de l’or
Au Burkina Faso les activités d’achat, de vente et d’exploitation d’or sont soumises à l’obtention préalable d’un agrément délivré par arrêté ministériel signé des ministres en charge des mines, des finances et du commerce.
Au Burkina Faso, les transactions commerciales formelles de l’or issu de l’exploitation artisanale et semi-mécanisée sont celles effectuées sous la supervision de l’ANEEMAS.
L’ANEEMAS a pour objet l’encadrement et la surveillance des activités d’exploitations artisanale et semi-mécanisée de l’or. Elle est chargée, entre autres, d’assurer le suivi-contrôle des circuits de commercialisation. Elle assure la régulation de la commercialisation par l’achat de l’or sur tous les sites.
Le commerce de l’or sur les sites dont les propriétaires bénéficient d’autorisation d’exploitation artisanale, est réglementé et les artisans miniers sont tenus de vendre leur or à des points de vente institués par le titulaire de l’autorisation ou aux acheteurs agréés ou autorisés par ce dernier.
Les producteurs artisanaux d’or sont tenus de rétrocéder toute leur production aux détenteurs d’autorisation d’exploitation artisanale ou à l’ANEEMAS.
Les détenteurs d’autorisation d’exploitation artisanale sont tenus de rétrocéder à leur tour la totalité de leur collecte à un comptoir d’achat ou à l’ANEEMAS.
Les sites d’exploitation artisanales non couverts par une autorisation sont d’office sous le contrôle de l’ANEEMAS.
Les titulaires de permis d’exploitation semi-mécanisées tiennent des registres de commercialisation de l’or vendues au Burkina Faso et de l’or exporté.
Les détenteurs d’autorisation d’exploitation artisanale et les titulaires d’agrément d’achat, de vente et d’exploitation de l’or de production artisanale et semi-mécanisée ont l’obligation de tenir à jour les registres y afférents.
Ils sont en outre tenus de produire et transmettre les rapports périodiques de leurs activités conformément à la réglementation en vigueur.
Est puni d’une amende égale au double de la valeur de l’or non enregistré, tout exploitant artisanal, tout comptoir d’achat qui ne tient pas à son siège ou dans ses centres d’achat, des registres de production, d’achat, de vente ou d’exportation, qui n’établit pas de bordereaux pour ses opérations.
Cette amende ne peut être inférieure à deux millions (2 000 000) de F.CFA pour l’exploitant artisanal, le comptoir d’achat, de vente et d’exportation agréé.
Tout comptoir vend à l’intérieur du pays ou exporte une quantité minimum d’or au cours de chaque année calendaire. A défaut, il verse le montant des redevances minières correspondant à la quantité minimum requise qui est fixée par voie règlementaire. Cette disposition s’applique également aux détenteurs de permis d’exploitation semi-mécanisée.
Le coût du gramme d’or est fixé selon les mécanismes de l’ANEEMAS, en tenant compte des impuretés aurifères, au niveau national, et, en tenant compte des fluctuations internationales du coût de l’or.
Le coût du gramme d’or oscille entre 17 500 et 25 000 F.CFA.
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Le circuit informel du commerce de l’or
Le second circuit commercial identifié est celui des transactions informelles de l’or. Ce circuit est animé par les collecteurs ou acheteurs non homologués qui ne disposent pas d’agrément d’achat ou vente ou n’ayant pas de carte d’artisan minier.
Selon une étude de l'Institut national de la statistique (INSD), seulement trois dixièmes de l'or produit artisanalement passent par le circuit commercial officiel. Tout le reste de la production d’or est frauduleusement écoulé par des réseaux parallèles.
Selon les données collectées dans les deux régions d’étude, le coût du gramme d’or sur le circuit oscille entre 22 500 et 27 000 F.CFA.
L’analyse des données collectées dans la région du Sud-Ouest du Burkina Faso indique que ces acteurs du circuit informel sont à la fois ceux homologués par l’État burkinabè et les non homologués. Ils revendent l’or collecté dans les pays limitrophes tel que le Ghana, le Mali, le Niger, le Togo et la Côte d’Ivoire.
Des témoignages issus d’entretiens avec des acteurs de ce circuit montrent que les transactions informelles effectuées dans le Sud-Ouest du Burkina Faso sont facilitées par certaines autorités politiques (maires etc…) et certains agents publics (policiers, agents des eaux et forêts …).
Ces responsables politiques et administratifs possèdent parfois, de façon informelle, des galeries d’or, ce qui rend difficile leur application réelle dans la règlementation et le suivi-contrôle de la commercialisation de l’or sur ce circuit.
Circuits frauduleux de commercialisation de l’or
Au Burkina Faso, au niveau de la douane, l’exportation se fait en libre sortie et l’or est soumis à une taxe s’élevant à 1,75 % de la valeur du produit sur le marché de l’or de Londres ainsi qu’à des frais de titrage auprès du laboratoire d’État de 0,2 %.
Pour échapper à aux frais et contraintes, des circuits parallèles du commerce de l’or se sont développés ces dernières années, occasionnant des pertes annuelles de plusieurs milliards de F.CFA pour l’État burkinabè.
Cet or est notamment exporté illégalement dans les bagages de voyageurs.
À titre d’exemple, en novembre 2014, trois personnes étaient interceptées par la Brigade spéciale de l’aéroport de Ouagadougou avec 77 kg d’or dans leurs bagages. Interpellé, le responsable de la société de vente d’or mise en cause a reconnu procéder, depuis quelques temps, à deux expéditions illégales en moyenne par mois, avec des quantités d’or variant de six à trente kilogrammes. Il a en outre déclaré qu’il procède au coulage de l’or préalablement acheté sur plusieurs sites d’orpaillage agréés ou clandestins.
Le trafic d’or implique également des individus agissant pour leur propre compte. La brigade de l’aéroport a opéré trois saisies en 2017 de respectivement 250, 1666 et 400 grammes. L’or saisi était destiné à la revente en Turquie et Colombie.
Des circuits frauduleux plus organisés existent. La brigade mobile de Tenkodogo, ville du centre-ouest du pays où sont enregistrés d’importants flux commerciaux en provenance et à destination du Togo, a opéré une saisie spectaculaire le 23 février 2016. Un trafiquant avait dissimulé dans les parois des portières de son véhicule 16,55 kg d’or qu’il tentait d’exporter illégalement au Togo.
En 2014, selon l’ONG « Public Eye », la Suisse aurait importé pas moins de 7 tonnes d’or depuis le Togo, bien que ce pays ne produise pas ce minerai. L’ONG a remonté la filière jusqu’à des mines artisanales burkinabè. Ainsi, chaque année, des tonnes d’or extrait de ces mines situées essentiellement au nord et à l’ouest du Burkina Faso sont frauduleusement importées à partir du Togo. Ce seul circuit ferait perdre à l’État burkinabè des recettes fiscales estimées à 3,5 milliards de F.CFA.
Certains analystes estiment, en outre, que le trafic d’or permet aux trafiquants de placer des devises à l’étranger tout en évitant les taxes d’export, ou encore d’acquérir des biens à l’étranger qui pourraient être importés à une valeur moindre, voire en contrebande, pour être vendus au Burkina Faso tout en minimisant, voire en éludant, les droits de douane à l’importation. Une telle affirmation est toutefois difficile à prouver.
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Les raisons de la propagation de la fraude à grande échelle
Les responsables des comptoirs confirment les soupçons de fraude dans l’exportation de l’or et la justifient par le montant de la taxe à l’exportation de l’or qu’ils jugent très élevée au Burkina Faso.
En effet, sur chaque kilogramme d’or exporté, une taxe est prélevée pour le compte du budget national.
Comparativement au Togo, pays voisin du Burkina Faso vers lequel l’or est frauduleusement acheminé, la taxe à l’exportation sur le kilogramme est moins élevée. C’est la première raison qui les poussent à sortir clandestinement l’or vers le Togo, faisant de ce pays un exportateur d’or, alors qu’il n’en produit pas.
Selon une enquête de la commission parlementaire le manque à gagner oscillerait entre 15 et 30 tonnes par an pour une perte à l’exportation comprise entre 67,5 et 135 milliards de F.CFA.
Selon les résultats d’une enquête menée en 2014 par la Déclaration de Berne, une ONG suisse pour qui : «7 tonnes d’or burkinabè avaient été frauduleusement expédiées au Togo, puis réexportées vers la Suisse la même année, représentant près de 20% de la production industrielle d’or du pays ».
L’ONG estime que le Burkina Faso a perdu des recettes fiscales de près de 4 milliards de F.CFA, rien que pour l’année 2014, suite à cette fraude. « Cela équivaut à 24,32% de toutes les aides cumulées de la coopération suisse au Burkina Faso en 2014 », indique la Déclaration de Berne.
Le Niger, le Ghana et la Côte d’Ivoire, qui appliquent une fiscalité plus faible, seraient des pays de destination de l’or qu’il sort frauduleusement du Burkina Faso.
Il existe une brigade de lutte contre la fraude en matière de commercialisation de l’or dénommée « Brigade nationale anti-fraude de l’or » en abrégé BNAF et qui a pour mission la recherche et la constatation des infractions relatives à la commercialisation de l’or.
L’insécurité au plan national rendant impossible l’accès aux sites d’exploitation, la BNAF se contente pour l’instant de contrôler les comptoirs installés dans les villes. Son action est en outre limitée par le fait qu’elle ne dispose d’aucun financement pour rémunérer des indicateurs et obtenir ainsi des renseignements, ce qui serait pourtant bien utile pour lutter contre ce type de fraude.